Atelier d’écriture, texte de Sanja.
Je n’aime pas le mois d’Octobre.
Sous ses arbres morts, ce ciel gris d’acier et l’air suffocant, j’entends cet invisible silence qui m’accompagnera tout le mois d’octobre, voire plus.
Constamment, contre ma volonté, subitement à n’importe quel moment de la journée, surgit devant moi un visage et puis en tournant la tete ou fermant les yeux pour m’en débarrasser un autre visage le rejoint. Visages pales, les tetes rasé, lèvres légèrement bleutées et ces yeux éteints remplis de…Voilà, mes deux chères accompagnatrices, deux amies inséparables qui me suivent partout, quelquefois pendant des journées entières.
Le premier visage appartenait à ma maman et le deuxième à Laure que j’ai rencontré au marché aux puces entourée des choses les plus improbables qu’elle vendait tous les dimanches.
Laure me permettait de l’appeler Suzanne car pour moi, elle était sortie directement de cette chanson de Leonard Cohen pour illuminer et rendre le monde plus gai et joli.
Suzanne, se promenant avec le vent dans ses cheveux roux, mousseux et sauvage habillée dans se créations bizarres faites de toutes pièces, de toutes couleurs, formes et matières possibles.
Suzanne était maigre, ne mangeait pas beaucoup, dans son frigo presque toujours vide on pouvait de temps à temps trouver un peu de betteraves et quelques oeufs.
Suzanne parlait beaucoup de tout sauf de sa famille.Elle m’avait juste une fois mentionné son père qui vivait quelque part dans le sud,son frère était parti aux Etats-Unis et que sa mère était morte.
En plusieurs occasions j’ai essayé de parler de sa mère mais Suzanne changeait de sujet à chaque fois que j’ essais de l’aborder.
J’enviais cette énergie folle et cette santé d’enfer que Suzanne possédait.
Jamais malade, jamais triste, jamais mal à la tête, jamais mal nulle part, toujours en activité, toujours à courir quelque part à s’occuper de quelque chose à aider quelqu’un pour n’importe quoi ou à défendre une cause. Bref, la tête tourné vers un meilleur futur qu’elle était en train de créer avec ce qu’elle avait dans ses mains.
Je voulais suivre Suzanne, aider le monde mais je ne pouvais pas. J’étais d’une mauvaise santé; toujours fatiguée passant des journées entières au lit en train de prendre ma température ou de vérifier ma tensions me préparant des tisanes et des plantes, scrutant les heures pour prendre mes médicaments.
Aussi, je passais beaucoup de temps à chercher différents spécialistes pour finalement bien me diagnostiquer et bien me soigner. Toutes ces taches quotidiennes m’épuisaient de plus en plus et devenaient de plus en plus compliquées car j’ai commencé à entendre de plus en plus souvent les mots: psychosomatique, hypocondriaque, parfaite santé physique, aller voir un psy, etc.
Comme, ma mère était morte d’un cancer du seins je faisais la mammographie non seulement une fois mais deux fois par an. J’étais obligée de les faire chez deux médecins différents car mon généraliste me persuadait qu’il était mauvais pour la santé de s’exposer aux rayons si souvent.
Une amie de Suzanne m’avait une fois mentionné que la mère de notre amie commune était aussi morte d’un cancer. Depuis, pendant des années je prenais chaque fois le rende-vous pour nous deux pour y aller ensemble mais Suzanne n’y venait jamais.
Plus les années passaient, je l’encourageais de plus en plus souvent. Surtout je profitais de mois d’Octobre en espérant qu’un jour elle céderait à tous ses témoignages et avertissements. Aussi, j’essayais de parler de ma mère et de son cancer mais sans aucun résultat. Suzanne souriait et répétait qu’elle détestait la couleur rose, qu’il fallait mettre le noir à sa place.
C’est vrai, quand j’y pense je ne l’avais jamais vue porter cette couleur alors qu’elle était souvent habillée comme un perroquet, échappé de ses forets tropicales.
Puis, on s’était perdue de vue, au début je n’y prêtais pas beaucoup d’attention car Suzanne était célèbre pour ces soudaines disparitions et apparitions. En plus, pendant cette période j’était encore vraiment très malade.
Finalement, il y a 2 ans au cours de mois d’octobre, sa colocataire m’avait dit qu’elle était malade d’un cancer de sein et se trouvait à l’hôpital. Je étais allée la voir.
La-bas, dans la chambre où elle se trouvait avec une autre personne je ne l’avais pas reconnue immédiatement. J’avais du mal à la regarder dans ses yeux, auparavant si remplis d’un optimisme sans fin où les étoiles brillaient la nuit quand elle jouait du tamtams au long l’été sur les quais de la Seine. Suzanne, malade pour la première fois mourait de la même maladie que sa mère et ma mère.
J’avais tenu sa main tout maigre et froide dans ma main tout tremblante ni pouvant ni sachant quoi dire.
Je voyais dans ses yeux pour la deuxième fois la même expression que j’avais déjà vue il y a si longtemps mais qui ne m’avait jamais quittée depuis, cette affreuse expression d’un profond vide rempli d’un silencieux cri de supplication de partir. Suzanne mourut dans mes bras pendant une triste journée grise d’Octobre (comme sa mère d’après ce qu’on m’avait dit après son enterrement) pleine de cette couleur rose que Suzanne détestait autant.